La catastrophe ferroviaire du 12 juillet 2013 dernier à Brétigny-sur-Orge (Essonne), qui avait fait sept morts et une trentaine de blessés, est définitivement due à un problème d'entretien. C'est ce que dévoilent les rapports d'expertise ferroviaire et métallurgique que s'est procurés Le Figaro et que le procureur de la République d'Évry doit rendre publics lundi. Dans ces rapports extrêmement sévères pour la SNCF, envoyés aux juges d'instruction le 25 juin dernier, les ingénieurs experts (cour d'appel de Douai) Michel Dubernard et Pierre Henquenet notent que «les examens métallurgiques qui ont été effectués permettent d'établir que nous ne sommes pas en présence d'un acte de malveillance, et que le processus ayant abouti à la désagrégation complète de l'assemblage s'est bien au contraire étalé sur plusieurs mois et a concerné l'ensemble de l'appareil de voie incriminé, sur lequel ont été relevées plus de 200 anomalies de divers degrés de criticités. La plupart de ces anomalies étaient connues de la SNCF ou de ses agents sans pour autant qu'ils soient remédiés de façon adéquate». Le constat des experts est sans appel et évoque un «état de délabrement jamais vu par ailleurs». Et d'ajouter: «l'armement a péri par fatigue, vibrations, battement, défauts de serrage, usure, etc. Tous dommages relevant de la qualité de la maintenance.»
Le train numéro 3657 Intercités était composé de sept voitures Corail. Il y avait à son bord 385 voyageurs. Il avait quitté la gare d'Austerlitz à 16 h 53. À 17 h 11, alors qu'il s'apprête à traverser la gare de Brétigny sur la voie 1, des passagers ressentent un choc lors du franchissement d'une traversée jonction double. Le train déraille et se sépare en deux parties entre les voitures 4 et 5. Celui-ci roule alors à 137 km/h alors que la vitesse limite autorisée sur cette voie est de 150 km/h. En raison de l'état du réseau, les experts mandatés par les juges d'instruction notent dans leur rapport qu'«il serait souhaitable de limiter à 100 km/heure la vitesse des trains à l'approche de la gare de Brétigny».
Une surveillance inadaptée du réseau
Ils relèvent par ailleurs que «les prescriptions actuelles de maintenance» des traverses jonction double sont «inadaptées car insuffisantes». Actuellement, la SNCF démonte les liaisons éclissées pour les vérifier tous les trois ans car celles-ci sont classées dans la catégorie «éléments de confort». Les experts conseillent vivement de les démonter chaque année pour les vérifier. Selon eux, les tournées de vérifications menées sur les voies doivent amener les agents à «la remise en conformité immédiate», ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. L'état du réseau à Brétigny «aurait logiquement dû conduire la SNCF à une surveillance accrue, et surtout adaptée», écrivent-ils.
Les experts mettent clairement en cause la SNCF dans l'organisation de la maintenance: «Il reste aussi important à dire que le personnel SNCF chargé de la mise en œuvre de la maintenance des voies et appareils devrait être choisi, tout d'abord selon des critères de solide formation à la construction mécanique et de surcroît avoir reçu une formation spécialisée approfondie.» Une allusion à la jeunesse de l'agent qui avait fait la dernière tournée d'inspection le 4 juillet 2013, soit huit jours avant l'accident. Il s'agissait d'un cheminot de 25 ans, fraîchement diplômé d'une école d'ingénieurs. En février 2013, il devenait dirigeant de proximité voies à Brétigny. Il encadrait 19 agents voies chargés de faire de la maintenance sur le réseau ferré du secteur. Lors de cette dernière inspection, aucune anomalie n'avait été signalée.
Des anomalies insuffisamment prises en compte
«Les prescriptions de maintenance de la SNCF, complexes, parfois difficiles à interpréter ou à appliquer par des hommes de terrain n'ont pas été parfaitement respectées (…). Ceci a conduit à une insuffisance de prise en compte et de traitement des anomalies rencontrées ; on notera dans ce sens que de nombreuses observations faites au cours des tournées de surveillance se sont trouvées reportées d'une opération à l'autre, pour finir parfois par disparaître sans pour autant qu'on ait eu la certitude qu'elles aient été traitées.» Et les experts de conclure en retenant parmi les trois facteurs ayant conduit à l'accident par une maintenance inadaptée «des référentiels de maintenance volumineux, surabondants, parfois inadaptés voire contradictoires donc contre-productifs».
Enfin les ingénieurs judiciaires qui ont procédé à des tournées d'inspection de voies le 28 janvier dernier alertent sur l'état du réseau en gare de Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis). Ils le jugent inquiétant.