Avis de l’Autorité de la concurrence avril 2019 : L’ouverture de la boîte de pandore ?
- Publié le lundi 20 mai 2019 14:00
FINANCES
On adore les rapports en France ! Personne ne s’intéresse à ce que peuvent coûter toutes ces pages d’écriture qui, bien souvent, ne se révèlent qu’un exercice de style, le pouvoir politique n’en faisant ensuite qu’à sa tête. L’exemple des rapports annuels de la Cour des comptes sur la gestion de la dépense publique est révélateur, l’expérience enseignant qu’une réforme en France n’est jamais qu’une modification à la marge d’un sujet d’actualité. Les rapports de l’Igas (Inspection générale des affaires sociales) et de l’IGF (Inspection générale des finances) 2018 sur la situation de la biologie médicale semblent restés enfouis dans la poussière de ces inspections. Le rapport de l’Autorité de la concurrence d’avril 20191 se place provisoirement sous les feux de l’actualité en jetant quelques pavés dans la mare.
Recommandations et premières réactions
Quelques recommandations impliquent un débat inévitable :
- Ouvrir totalement la participation au capital des LBM aux investisseurs non biologistes, ou a minima relever le plafond de participation actuellement fixé à 25 %.- Permettre aux investisseurs biologistes de détenir jusqu’à 100 % du capital, même s’ils n’y exercent pas- Relever le quota applicable à la sous-traitance.
- Assouplir les règles des contrats de coopération, en relevant la limite quant au nombre d’examens pouvant être réalisés dans ce cadre.
- Étendre la zone géographique à la région, en lieu et place des trois territoires de santé infrarégionaux actuels.
- Autoriser les remises tarifaires pour rétablir l’égalité entre laboratoires de biologie médicale privés et publics dans les appels d’offres.
Les réactions de la profession sont en conséquence peu surprenantes :
- Pourquoi vouloir la mort d’une biologie médicale de proximité et de qualité aux coûts maîtrisés ? s’interroge le Syndicat des biologistes (SDB).
- Un remake « des Animaux morts de la peste » ? s’insurge le Syndicat des jeunes biologistes médicaux (SJBM).
- La biologie médicale encore sous les projecteurs, le rapport vise à accentuer l’industrialisation de la biologie médicale et à la réduire à une activité de services, s’inquiète le Syndicat national des médecins biologistes (SNMB).
Le sujet est sérieux car il pose la question de savoir si l’acte de biologie est un acte médical ou seulement un acte de production de données au service du diagnostic pour les médecins et donc un acte concurrentiel. Les positions syndicales face à ce rapport administratif résument ainsi le débat, avec une sensibilité évidemment extrême, qui rappelle que nos « chères » professions réglementées au 21ème siècle ne sont guère éloignées dans leur organisation des pratiques corporatistes des siècles passés : « des Ordres obligatoires, en situation de monopole collectif, avec un pouvoir de réglementation du travail, de la production et de la commercialisation ».
L’Avis s’étonne de l’incohérence de la réglementation depuis 2013 sur le contrôle capitalistique et du vieillissement d’une législation qui était davantage pensée pour de petites structures locales. Les arguments sont légitimes même s’ils dérangent.
L’inégalité des acteurs dans la détention du capital des SEL
Quand une Société d’exercice libéral (SEL) veut en acquérir une autre, que chacune se trouve sur les mêmes territoires de santé (TS) et que le seuil légal d’activité sur ce TS n’est pasdépassé, on procède le plus souvent par fusion. Le repreneur absorbe la SEL « en vente », pratique le coup de l’accor- déon en augmentant son capital dans le cadre des parités d’échanges définies en remettant aux actionnaires absorbés des actions qui se substituent aux leurs, puis réduit ensuite son nouveau capital du montant des actions à annuler suivant l’accord global en remettant aux vendeurs la trésorerie de cette annulation. L’affaire est réglée.
Si la fusion n’est pas possible, on se trouve face à une asy- métrie de situations juridiques.
➝ Jusqu’à 2013.
Jusqu’à la loi sur la biologie médicale de 2013, une SEL pouvait contrôler une autre SEL avec une détention de capi- tal pouvant aller jusqu’à 99,99 %2, sous réserve de laisser la majorité des droits de vote aux biologistes en exercice dans cette SEL. Les statuts de ces SEL distinguent alors les actions avec droits de vote et les actions avec droits en capital. Les groupes constitués avant 2013 ont pu établir un maillage territorial national remontant à une SEL faîtière, permettant à son tour la détention par un laboratoire d’un autre lieu de la CEE (Communauté économique européenne) où le capital, contrairement à la législation française, peut être contrôlé par un non-biologiste. Le capital devient au besoin international. La liberté du texte a donc permis une consolidation juridique, financière et comptable jusqu’au plus haut niveau de la pyramide des acteurs majeurs. Le point principal est que la réforme de 2013 a figé cette situation en laissant perdurer les situations acquises. Cet avantage législatif permet, en outre, depuis 2013, aux SEL régionales d’absorber sur leurs territoires de santé les laboratoires en vente et grossir bien tranquillement en faisant racheter les actions des vendeurs post-fusion non par la SEL absorbante mais par la SEL faîtière ce qui renforce la détention du capital et aide aux remontées futures du cash, en particulier par les dividendes.➝ À partir de 2013.
La loi de 2013 pose le principe nouveau que les biologistes en exercice doivent détenir la majorité du capital et des droits de vote. Dès lors que la fusion n’est pas possible, l’acquisition ne peut porter que sur 49 % du capital au maximum. Si une SEL de biologie, dite de biologistes libéraux, veut en acquérir une autre, sa participation sur le papier ne peut être que minoritaire. On comprend d’autant mieux le sujet en rappelant qu’en Ile-de- France les territoires de santé étant calés sur le département,une SEL installée sur trois TS désireuse d’acheter une SEL sur un quatrième TS ne le peut que partiellement. Une SEL, avec un jeu de filiales constituées avant 2013 et couvrant les départements d’IDF, peut tout acheter par le jeu de l’absorption évoquée ci-dessus. Juridiquement, la croissance externe est bridée et la concurrence faussée. On aurait pu penser que la législation serait unique mais, au contraire, elle laisse perdurer le « avant » pour certains et le « après » pour d’autres.Les solutions possibles et proposées
Évidemment, les juristes ont trouvé la parade, quand l’ab- sorption n’est pas possible et qu’il convient d’acquérir quasi 100 % du capital ; ils créent à côté des actions en capital et droits de vote une autre catégorie d’actions : des actions de préférence (ADP) portant des droits financiers souscrits par le repreneur et mesurant la véritable valeur financière de la société, c’est-à-dire bénéfices et plus-values à venir. La SEL émet des ADP souscrites par l’acquéreur pour peu ou prou la valeur convenue de reprise, cette trésorerie permet, par une réduction de capital drastique d’annuler les actions des titulaires et de les rembourser3. En apparence, il reste des biologistes en exercice, mais de manière symbolique en valeur de capital « ordinaire ». La législation est satisfaite, cependant, comme on l’a compris la propriété et le pouvoir financier sont aux mains de la SEL repreneuse. Cette fois, on est dans l’hypocrisie juridique. Ces schémas sont presque devenus banals partout en France.Si on pose l’équation de l’égalité de tous, la solution s’impose : d’une part, créer des TS régionaux a minima en liaison avec une définition plus heureuse que le découpage administratif de départements, respectant les équilibres médicaux définis par les autorités de tutelle et, d’autre part, faire sauter les verrous du contrôle du capital. Certaines législations étran- gères le permettent, la France serait-elle seule à détenir la vérité ? C’est l’objet des recommandations de l’Autorité de la concurrence. Évidemment, comme cela a déjà été suggéré à plusieurs reprises, on peut aussi revenir sur la dérogation avant 2013 mais ce n’est pas le plus simple. Si on ajoute des sujets comme le seuil de 15 % de la sous-traitance, l’élargissement des contrats de coopération qui peuvent franchir les TS et le prix des actes avec des possibles remises tarifaires, la guerre est ouverte avec les gardiens du temple de la biologie médicale.
Et le marché, où en est-il ?
Il est incontestable que la biologie est entrée en consolidation tertiaire, ce moment de restructuration d’une profession oùFace à l’enveloppe tarifaire bloquée et l’absence de perspec- tives de croissance en volume, voici les solutions et surtout les réponses à la bulle inflationniste qui coûte cher en exigence de rentabilité du capital mobilisé avec les fonds pour leur croissance externe.
Heureusement, l’obligation d’un biologiste sur chaque site n’est pas de la compétence de l’Autorité de la concurrence ! Dans les petites structures, nombreuses sont les interroga- tions. Un biologiste d’une structure de 80 millions de CA m’écrivait ces derniers jours : « l’ambiance est délétère chez nous entre les biologistes qui n’ont pas tous la même vision. Cette vision justement n’est pas claire pour tous et les choix stratégiques en souffrent ». En effet, l’envolée des prix des laboratoires, alimentée par les achats des acteurs majeurs de la profession, a sonné le tocsin.
Alors ce rapport, « boîte de Pandore » ou rapport qui fera pschitt ?
1. Autorité de la concurrence - Avis « n°19-A-08 du 4 avril 2019 relatif aux secteurs de la distribution du médicament en ville et de la biologie médicale privée ».
2. Article 5.1 de la Loi de 1990 sur les SEL
3. Naturellement, les opérations sont concomitantes et ne forment qu’un seul ensemble
pour leur réalisation. Il est aussi possible d’acheter 49 % du capital préalablement.
Magazine Biologiste infos n°99